Un tableau au musée du Bucheneck (Soultz-Haut-Rhin) :
C’est un tableau[1] qui, a priori, n’attire pas le regard. On y voit, dans une église, un évêque debout devant un autel ; il regarde un chanoine agenouillé devant lui. L’ensemble est quelque peu raide, sans art particulier. Une inscription figure en bas de la toile : Gabriel Beltz, originaire de Soultz et chanoine régulier de Marbach, a commandité ce tableau : Gabriel Beltz Sultzensis canonicus regularis Augustini in Marback, 1641 (sur l’emmarchement de l’autel)
La famille Beltz appartient aux notables de la ville de Soultz. Gabriel Beltz, entré chez les Augustins de Marbach, a été ordonné sous-diacre en septembre 1625, prêtre en 1628. Il a exercé les fonctions de curé dans différentes paroisses autour de l’abbaye, et, pour finir, est curé de Sainte-Croix en Plaine en 1643-1644. Il meurt à Eguisheim le 27 décembre 1647, alors que l’abbaye est en mauvaise passe après le déferlement des Suédois et les dernières années de la guerre de Trente ans[2]. C’est donc ce chanoine est représenté agenouillé, revêtu de l’habit de chœur : un surplis sur sa soutane blanche, et portant une aumusse, c’est-à-dire une sorte de mantelet en fourrure, sur les épaules. Sa barrette est posée au sol, devant lui.
Revenons à l’inscription qui donne tout son intérêt au tableau.
L’évêque n’est autre que saint Augustin, patron de l’abbaye et identifiable à son attribut : un cœur percé de flèches qu’il tient de la main gauche. Ce cœur symbolise l’amour des fidèles pour Dieu. Sur le mur derrière le saint figure une inscription : S. Augustinus Episcopus Doctor Ecclesiae. Du coup, on peut se demander dans quelle église se situe la scène. Serait-ce l’église disparue de l’abbaye de Marbach ?
A gauche de la scène se trouve un autel avec un retable baroque : on y voit une statue de la Vierge à l’Enfant, entourée des représentations de saint Pierre et de saint Augustin, le tout étant doré. L’autel est prêt pour la messe : un calice est posé sur le corporal. Au second plan, on aperçoit un autre autel surmonté d’un retable à volets, placé contre une paroi qui ferme une abside. Cette disposition n’est pas exceptionnelle : elle permettait de disposer d’un espace de rangement, une sorte de sacristie à l’arrière de l’autel, séparée du sanctuaire.
L’architecture ne donne guère d’indication : des voûtes quadripartites, un sol dallé en damier, le tout rendu par un dessin assez sommaire. Les deux autels sont disposés perpendiculairement, ce qui donnerait à penser que l’église serait dotée d’un transept. On ne connaît pas de représentation intérieure de l’église de Marbach dont le chœur était gothique, mais la nef et le narthex (seul subsistant en partie) romans. Or, l’église de Marbach n’en possédait pas. Est-ce alors une relecture imaginative de l’abbatiale ? En effet, le chœur gothique était composé d’une abside à trois pans, précédée d’une travée droite, greffée sur le bâti roman. Un avant-chœur de deux travées voûtées sur ogives était encadré par les murs fermant les ouvertures vers l’extrémité des bas-côtés. En revanche, si l’architecture ne trouve pas son compte dans son tableau, reste la représentation des autels dont il n’est pas interdit de penser qu’ils reflètent une réalité aujourd’hui disparue.
Benoît Jordan
[1] Merci à Mme Dos Santos, conservatrice du musée, pour son accueil et son aide.
[2] KAMMERER, Louis, Répertoire du clergé alsacien de 1648 à la Révolution, ne donne pas beaucoup d’éléments. Merci à Louis Schlaefli pour l’accès à son Répertoire du clergé alsacien avant 1648.