Publié le : 26 Juin 2009
Créée dans les conditions particulières de l’application de la loi de séparation des Églises et de l’Etat en 1905, cette fonction, souvent bénévole à l’origine, l’est aujourd’hui de moins en moins. Le Conservateur des antiquités et objets d’art constitue en effet le maillon central de la politique de conservation et de mise en valeur à l’échelle des départements. Une bonne vingtaine de Conseils généraux a pris conscience de ce fait et a mis en place des services et des postes spécifiques permettant aux collectivités de s’engager dans une véritable politique de connaissance et de valorisation de leur patrimoine.
Plus de 95 % des 300 000 objets classés ou inscrits au titre des monuments historiques en France appartiennent au patrimoine religieux : incroyable richesse dans des domaines aussi variés que le vitrail, la peinture murale ou de chevalet, la sculpture sur bois ou sur pierre, l’orfèvrerie, les ornements liturgiques, les bannières, les manuscrits, les cloches, les orgues…
Devant la diminution du nombre des prêtres et des fidèles en milieu rural surtout pour pouvoir assurer la sécurité matérielle de ces objets, on en arrive à la fermeture de bon nombre d’églises, véritable contre-sens théologique et social. Bien que la priorité soit donnée au maintien in situ, qui demeure la vocation première de la protection au titre des monuments historiques, le conservateur doit aujourd’hui faire face à une demande croissante des élus, du clergé ou d’associations, qui attendent des solutions pour ces objets souvent menacés de vol, ou conservés dans des conditions inadaptées.
Le Conservateur des antiquités et objets d’art fait respecter la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques en ce qui concerne la protection des objets. Il faut rappeler que le décret du 13 avril 1908, modifiant la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905, attribue aux communes tous les objets conservés dans les édifices cultuels antérieurs à cette date, au même titre que les édifices eux-mêmes. Les objets acquis après 1905 appartiennent aux associations diocésaines sur justification de propriété. La totalité de ce mobilier est laissée à la disposition des fidèles et des ministres du culte, dans le respect des règles des Monuments historiques et des pratiques liturgiques.
Outre ses collègues du Ministère – conservateur chargé de l’inspection, architecte en chef et architecte des bâtiments de France – avec lesquels il est appelé notamment à travailler, le conservateur rencontre régulièrement d’autres interlocuteurs comme les responsables des Commissions diocésaines d’art sacré, des Comités paroissiaux ou d’associations de sauvegarde du patrimoine. Il est à noter que certains conservateurs sont membres à part entière des Commissions diocésaines, ce qui facilite les échanges de points de vue et l’obtention de solutions adaptées pour un aménagement liturgique recueillant l’approbation de tous.
Etat de la réflexion et essai de définitions
En octobre 1999, l’Association des Conservateurs des antiquités et objets d’art de France a organisé deux journées d’étude portant sur une question essentielle : les dépôts d’art sacré peuvent-ils être une alternative à la conservation in situ ?1
A l’issue de plusieurs enquêtes réalisées au sein de la Direction de l’Architecture et du Patrimoine en partenariat avec la Direction des Musées de France, on dénombre sur notre territoire 263 trésors aménagés, dont 47 trésors de cathédrales et 74 dépôts d’art religieux ; encore faut-il bien préciser les définitions et établir une distinction entre les différents espaces regroupant des objets.
Un trésor de sanctuaire présente une identité forte liée à un lieu particulier ; les objets précieux qu’il contient sont destinés prioritairement à l’exercice du culte : c’est le cas par exemple du trésor de Conques. En référence à la loi de 1913, les trésors de cathédrales peuvent donner refuge à de nombreux objets jugés en péril dans les diocèses, devenant ainsi des trésors de regroupement, sans pour autant accueillir systématiquement tous les objets venant d’autres édifices.
Huit musées d’art sacré sont contrôlés par la Direction des Musées de France : Dijon, Mours-Saint-Eusèbe, Pont-Saint-Esprit, Rocamadour, Saint-Nicolas de Vitré, Sées. Ceux de Cambrai et de Paray-le-Monial sont à ce jour fermés au public.
Un dépôt regroupe pour sa part, pour un temps plus ou moins long, des objets dans des lieux non affectés au culte. Dans les années 1960, de nombreuses oeuvres ont souvent été déplacées sans convention; des dépôts de fortune ont été créés à la suite d’initiatives de sauvetage prises par des conservateurs, des associations, des élus, ou des membres du clergé, soucieux de sauver des objets cultuels qui avaient peu à peu perdu leur valeur d’usage et ne se voyaient pas encore reconnaître une valeur patrimoniale. Ce type de dépôt a tendance à entretenir l’irresponsabilité devant les objets, à « donner bonne conscience » à leurs propriétaires, mais il engendre l’absence de partenaires lorsqu’on doit intervenir : ce n’est plus une solution à proposer aujourd’hui.
Améliorer la conservation des collections in situ
La réflexion est aujourd’hui renouvelée par des approches plus adaptées à la problématique de la conservation des collections dans le cadre des Monuments historiques. La conservation préventive s’avère être un outil particulièrement pertinent, permettant d’évaluer l’état de ces ensembles dans leur cadre et de mettre au point des programmes pour améliorer leur maintenance et leur entretien. Cette démarche, encore peu répandue, est mise en oeuvre depuis près de dix ans par le centre de conservation-restauration des Pyrénées-Orientales. Par ailleurs, le Ministère de la Culture expérimente au niveau national un outil d’auto-évaluation des conditions de conservation des objets mobiliers dans les églises, à l’usage des communes.
De plus on reconnaît aujourd’hui l’importance de la formation qui associe des professionnels de la conservation préventive et des équipes de bénévoles locaux, capables ensuite de réaliser par eux-mêmes les travaux d’entretien courant des collections. De nombreuses expériences indiquent à quel point la conservation préventive, par-delà son action pour la conservation des collections, peut être un vecteur de sensibilisation et de médiation de ce patrimoine de proximité. Ces résultats très positifs soulignent la nécessité d’un travail en profondeur, qui, dans les départements, doit associer étroitement tous les acteurs : maires, curés, bénévoles, Commissions d’art sacré, services des Monuments historiques, conservateurs et restaurateurs sur des programmes pluriannuels.
Le dépôt, un outil au service de la conservation et de la valorisation
La réflexion autour de la conservation préventive permet de ne plus envisager la mise en dépôt des oeuvres comme une fatalité, mais comme le résultat d’une évaluation menée à la fois sur les objets et leur environnement qui permet de juger de l’opportunité de leur déplacement dans un lieu plus adapté.
Les projets les plus récents de dépôts départementaux ont été pensés dans le souci de ne pas être un simple lieu de stockage, mais un espace de diffusion afin que l’oeuvre, soustraite à son lieu originel de conservation, puisse être rendue au public. Une réelle politique d’étude et de diffusion des objets devient ainsi le gage de la vitalité et de la légitimité d’un dépôt d’art sacré. Ainsi, dans la Manche, le Centre d’art sacré de Saint-Hilaire- du- Harcouët associe-t-il un espace de réserve à un lieu d’exposition des collections. Le second dépôt dont s’est récemment doté ce département à Saint-André-de-Bohon, est conçu comme un dépôt visitable, permettant d’accueillir le public, de sensibiliser et de former des personnes qui pourront ensuite prendre en charge la maintenance des collections dans les églises du département.
L’aménagement des dépôts est réalisé sur la base des mêmes normes que celles des réserves de musée, en matière de sécurité et d’organisation des espaces. Les conditions climatiques font l’objet d’une attention particulière, afin d’éviter les chocs thermiques entre les églises, au climat particulièrement humide, et le dépôt. La présence d’un local de quarantaine réservé à l’acclimatation des oeuvres et à leur examen sanitaire, s’avère indispensable. Un espace séparé est également utile pour les interventions de première urgence : dépoussiérage, désinsectisation, refixage, etc. Le mobilier des réserves doit être adapté au stockage des différentes pièces (peinture, sculpture, orfèvrerie), et en particulier au rangement des pièces textiles, qui par leur fragilité et leur état d’abandon, arrivent en tête des collections déposées.
Conclusion
Si certains départements se sont dotés de moyens pour mettre en place des actions de conservation et de médiation ou proposer la possibilité de déposer les objets dans des réserves adaptées, d’autres, plus nombreux, manquent malheureusement encore de personnel et de moyens financiers pour mener ces travaux de longue haleine qui nécessitent la mise en place de véritables équipes structurées. Dans un souci partagé de bonne conservation des objets sacrés, et pour pouvoir maintenir leur usage et leur sens pour les générations futures, il est nécessaire d’établir une concertation entre tous les partenaires : propriétaires, affectataires, conservateurs, restaurateurs, afin de définir les aménagements adaptés. Seules ces interventions croisées peuvent permettre d’atteindre l’objectif souhaité d’une meilleure conservation et d’un maintien des objets mobiliers dans leur cadre d’origine et dans leur contexte.
Catherine Penez,
Conservateur des antiquités et objets d’art de l’Ain, membre du Bureau de l’Association des CAOA
(1)Regards sur le patrimoine mobilier religieux : de la sauvegarde à la présentation, Actes Sud, 2000.
Article extrait des Chroniques d’art sacré, numéro 71, 2002, © SNPLS